L’univers de ce roman est fait de nuit, d’ombres, de mystère… et des planètes qui tournent et influencent tout cela. C’est du moins l’univers dans lequel vit la protagoniste, une vieille femme passionnée par l’astrologie et par William Blake qui vit seule dans un hameau isolé.
« Quand le brouillard hivernal est suspendu derrière la fenêtre et que l’aube se transforme imperceptiblement, en quelques heures à peine, en crépuscule, j’ai le sentiment d’être entourée de vide. J’ai beau regarder dehors, les vitres reflètent seulement l’intérieur de ma cuisine, le centre de l’univers, petit et encombré. »
p. 52
En un mot, c’est le genre d’histoire qu’on voudrait lire dans une maison de forêt pour remplir de longues soirées d’hiver.
Une femme attachante
Le personnage de Janina est la pièce maîtresse du roman. Dans le petit monde qu’elle s’est forgé, les maisons sont vivantes et les planètes sont reines. Elle est obsédée par l’astrologie et soutient des théories un peu folles à propos des meurtres qui se succèdent dans la région.
Mais il ne faut pas se fier au titre : un humour particulier imprègne ce roman dès la première phrase. Janina fait preuve d’une lucidité piquante, lorsqu’elle évoque, par exemple, les affres de la vieillesse.
« Quand on arrive à un certain âge, il faut accepter le fait que les gens se montrent constamment irrités par vous. Dans le passé, j’ignorais totalement l’existence et la signification de certains gestes, comme acquiescer rapidement, fuir du regard, répéter « Oui, oui » machinalement, telle une horloge. Ou bien encore vérifier sa montre ou se frotter le nez. Maintenant, je comprends bien ce petit manège qui, au fond, exprime une phrase toute simple : « Fiche-moi la paix, la vieille. » »
p. 37
Le lecteur se laisse facilement porter par les exposés poétiques et convaincus de la vieille femme à propos des planètes et de leur influence. Il y a chez cette femme une recherche touchante de la rationalité, une sorte d’égarement solitaire.
« L’étude des horoscopes me procure beaucoup de joie, même lorsque j’y découvre les ordres de la mort. […] Cela fait du bien de garder une confiance absolue en quelque chose. »
p. 68
La sympathie pour cette femme qui, pendant de longs hivers, s’occupe des maisons de ses voisins qui ne viennent que l’été, m’a vraiment porté dans le roman. Non seulement le lecteur veut découvrir le fin mot de l’histoire, comme pour tout polar, mais il est aussi curieux, tout simplement, d’assister aux événements par le regard original de Janina.
Le revers de la médaille, c’est que ce personnage prend beaucoup de place. Trop, parfois, lorsque les événements commencent à attirer l’intérêt du lecteur et qu’ils sont noyés dans ses obsessions. Le propos engagé sur la protection des animaux, par exemple, est un peu noyé dans les préoccupations astrologiques de Janina.
Force sombre
De manière générale, la mort et le désespoir sont omniprésents dans ce roman. Parfois, l’accablement ressenti par la protagoniste frise la caricature. Mais on ne peut pas nier la force sombre qui ressort de ces passages.
« Le printemps n’est d’ordinaire qu’un court interlude, derrière lui progressent les puissantes armées de la mort ; les voilà qui assiègent les enceintes de nos villes. Nous vivons assiégés. […] Nos corps sont inéluctablement rongés par la décomposition, bientôt nous allons tomber malades, puis nous mourrons. Les personnes que nous avons chéries s’en iront, leur souvenir se dissipera dans la cohue. »
pp. 133-134
La capacité d’évocation d’O. Tokarczuk se déploie pleinement dans les descriptions, avec toujours le filtre du regard de Janina.
« Des nuages bas et sombres n’avaient cessé de défiler dans le ciel toute la journée, pour finalement, tard dans la soirée, frotter leur ventre mouillé contre les collines. »
pp. 81-82
L’ambiance de ce roman est soignée de bout en bout. O. Tokarczuk construit un froid obscur plein d’étrangeté, mais aussi de tendresse et d’humanité, grâce à des personnages attachants et originaux, qu’il s’agisse de Janina, la protagoniste, Dyzio, son ancien élève passionné par Blake, ou encore Bonne Nouvelle, la vendeuse de vêtements. Certaines scènes donnent au polar un souffle de poésie, qui contraste avec la cruauté des crimes qui se succèdent. Par exemple, une soirée improvisée au clair de lune, sous la mélodie douce et orageuse de Riders on the Storm des Doors.
Malheureusement, les allers-retours entre les théories et réflexions – parfois insensées mais toujours passionnées – de la protagoniste font parfois perdre à la narration sa dynamique. Heureusement, le roman réserve une surprise pour la fin. Les gros lecteurs de polars n’y verront pas le coup du siècle, mais cela vaut tout de même le détour.

Olga Tokarczuk, Sur les ossements des morts
Libretto, 2020 [2009]
288 p.
BONUS CACHÉ: LA RECETTE DE LA SOUPE À LA MOUTARDE PAR OLGA TOKARCZUK
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